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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 11:15

M. le président. La parole est à M. Marc Dolez.

M. Marc Dolez. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames et monsieur les rapporteurs, chers collègues, depuis la révolution, le droit d’asile est profondément enraciné dans l’histoire et les valeurs de la République. Pourtant, en dépit de sa consécration conventionnelle et constitutionnelle, ce droit semble aujourd’hui à l’agonie tant les dysfonctionnements sont nombreux : manque de places en CADA, saturation des dispositifs d’urgence, procédures trop complexes, allongement des délais de traitement, manque d’accompagnement des demandeurs d’asile durant la procédure, faible intégration des personnes ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire.
Indubitablement, notre système d’asile est défaillant. Il ne respecte d’ailleurs pas les normes européennes en la matière, du fait en particulier de l’absence d’un recours suspensif pour les demandeurs d’asile en procédure prioritaire, de conditions d’accueil indécentes ou du défaut de reconnaissance d’un statut spécifique aux personnes vulnérables.
C’est pourquoi les députés du Front de gauche plaident depuis de nombreuses années pour une réforme ambitieuse du système d’accueil des demandeurs d’asile qui allie simplicité et qualité, rapidité et solidarité ; une réforme qui tire un trait sur une approche sécuritaire et suspicieuse ; une réforme conforme à la tradition républicaine d’accueil et de protection des hommes et des femmes en danger. C’est à l’aune de ces objectifs que notre groupe entend examiner le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
L’initiative d’une réforme de l’asile est positive. Cette réforme répond aussi à l’obligation de transposer d’ici juillet 2015 plusieurs directives du paquet « Asile » ayant pour objet de créer un régime d’asile européen commun.
Sur la forme, et cela n’étonnera personne, nous regrettons le recours à la procédure accélérée. Nous y sommes opposés par principe, puisqu’elle ne permet pas à la représentation nationale de travailler dans les meilleures conditions. Nous y sommes d’autant plus opposés que la garantie du droit d’asile est un sujet aussi complexe que sensible pour les droits et les libertés.
Sur le fond, nous partageons l’objectif de simplification et d’accélération des demandes d’asile afin d’améliorer la protection des demandeurs d’asile. Mais nous regrettons de manière générale que ce texte ne rompe pas suffisamment avec la confusion entretenue depuis des années entre asile et immigration.
Comme le souligne la commission nationale consultative des droits de l’homme, le caractère de droit fondamental du droit d’asile interdit de confondre les questions d’asile et d’immigration. L’asile est un droit, et en tant que tel ne saurait être soumis aux vicissitudes de la politique de l’immigration. Une politique de l’asile ne peut se limiter à une approche purement quantitative et économique, mettant en exergue la hausse du nombre de demandeurs ou l’accroissement des coûts.
S’agissant des causes de la crise du système, si le contexte extrêmement difficile lié aux conflits armés a entraîné une hausse significative des demandes d’asile ces dernières années, cette augmentation n’est pas la principale cause des dysfonctionnements et doit être relativisée « par rapport aux efforts consentis par d’autres pays ou à d’autres périodes de notre histoire récente », comme le souligne fort justement notre rapporteure Sandrine Mazetier.
Nos collègues Jeanine Dubié et Arnaud Richard affirmaient d’ailleurs dans leur rapport d’information sur l’évaluation de la politique d’accueil des demandeurs d’asile que « contrairement à une opinion répandue, la situation actuelle est loin d’être sans précédent dans l’histoire du droit d’asile en France ».
Si la défaillance de notre système d’asile ne résulte pas de la hausse de la demande de protection internationale, c’est qu’elle est avant tout structurelle. D’où la nécessité d’adopter une réforme qui soit ambitieuse.
Le projet de loi comporte des avancées indubitables, qui renforcent les garanties procédurales au bénéfice des demandeurs d’asile. Mais ces dispositions correspondent souvent à une transposition a minima des directives, alors même que celles-ci offrent aux États la possibilité d’adopter des dispositions plus favorables.
Concernant l’accès à la demande d’asile, nous saluons la consécration d’un droit au maintien sur le territoire français jusqu’à la décision définitive de l’OFPRA ou de la CNDA, au profit de tous les demandeurs, qu’ils soient placés en procédure normale, en procédure accélérée ou en procédure « Dublin ». Pour autant, les dérogations au droit de se maintenir sur le territoire sont largement plus étendues que celles définies dans la directive « Procédures », pourtant d’interprétation stricte.
Pour ce qui est des conditions d’examen de la demande, l’avancée la plus notable est certainement la consécration du principe de l’entretien individuel avec le demandeur d’asile et la possibilité pour celui-ci d’être assisté d’un tiers à l’occasion de cet entretien. Toutefois, nous regrettons que l’intervention du conseil soit cantonnée à la fin de l’entretien.
Nous saluons aussi une clarification des missions de l’OFPRA et une tentative de clarification de son positionnement, tout en regrettant que le principe de son autonomie ou de son indépendance n’ait pas été clairement affirmé.
En ce qui concerne les demandeurs d’asile relevant de la procédure « Dublin », l’accès aux conditions d’accueil et la création d’un recours spécifique contre la décision de transfert constituent des avancées. Mais le délai de recours nous semble trop bref : même s’il a été porté par la commission des lois de sept à quinze jours, il ne permettra pas d’assurer la mise en œuvre effective des droits de la défense et le respect du principe du contradictoire. Surtout, la possibilité d’assigner à résidence les demandeurs d’asile sous procédure « Dublin » nous paraît disproportionnée.
Nous notons par ailleurs la généralisation du recours suspensif devant la CNDA, excepté pour les décisions d’irrecevabilité, de clôture et de rejet d’une demande en rétention. L’octroi de plein droit de l’aide juridictionnelle aux demandeurs d’asile constitue une autre avancée.
La protection des personnes vulnérables est également renforcée, puisque le projet de loi prévoit l’identification des vulnérabilités et la prise en compte de la situation spécifique des mineurs isolés demandeurs d’asile. Leur demande pourra être examinée dans le cadre d’une procédure normale et des mesures de recherche de la famille pour les mineurs s’étant vu accorder une protection seront mises en place.
Nous ne pouvons qu’approuver la volonté du gouvernement d’héberger en CADA d’ici 2017 tous les demandeurs d’asile hors réexamen. Ceux-ci pourront ainsi bénéficier de bonnes conditions d’accueil. Mais cela suppose d’augmenter massivement le nombre de places en CADA, seuls la moitié des demandeurs étant aujourd’hui pris en charge.

Par contre, je ne vous cache pas que nous sommes très réservés quant à la mise en place d’un schéma d’orientation directif et contraignant. Celui-ci permettra en pratique d’organiser une véritable surveillance des demandeurs d’asile au sein des centres d’hébergement.
Nous sommes également opposés à l’augmentation des hypothèses permettant un placement en procédure accélérée aux garanties réduites, en particulier s’agissant des délais de dépôt de la demande et de recours.
Enfin, nous relevons plusieurs avancées renforçant l’intégration des bénéficiaires d’une protection internationale. Ainsi le droit à la réunification familiale des réfugiés, sans conditions de ressources et de logement, est réaffirmé, et la carte de séjour « vie privée et familiale », délivrée aux bénéficiaires d’une protection subsidiaire pour une durée de deux ans, pourra être renouvelée.
Sans moyens suffisants, les garanties prévues dans ce texte ne seront jamais effectives. Je veux saluer les associations qui accompagnent quotidiennement les demandeurs d’asile tout au long de la procédure. Elles réalisent un travail considérable, dans des conditions extrêmement difficiles. C’est aussi pour leur permettre de remplir leurs missions dans de bonnes conditions qu’il convient de prévoir les financements adéquats.
À ce stade, madame la rapporteure, monsieur le ministre, nous portons une appréciation nuancée sur ce projet de loi. Notre appréciation définitive sera fonction des réponses qui seront apportées à nos interrogations durant la discussion et du sort qui sera réservé à nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur certains bancs du groupe SRC.)

 

 

- 2ème séance du 9 Décembre 2014 –

 

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