Après deux semaines de longs débats, l’Assemblée Nationale a adopté, le 3 juin, le projet de loi constitutionnelle dit de « modernisation de la Véme République ». Celui-ci ne sera définitivement adopté que s’il réunit la majorité des 3/5 au congrès du Parlement à Versailles, prévu en Juillet.
Résolument opposé à ce texte, Marc DOLEZ est intervenu à plusieurs reprises dans les débats. Ci-après ses principales interventions :
I – Sur l’évolution du régime et la nécessaire remise en cause de l’élection du Président de la République au suffrage universel.
L’article 2 vient compléter l’article 6 de la Constitution mais, hélas, sans le modifier sur le fond, comme l’ont fait les deux révisions de 1962 et de 2000.
Cet article majeur, qui définit le mode d’élection du Président et la durée de son mandat, pèse considérablement sur le fonctionnement de nos institutions et sur l’équilibre des pouvoirs. Le déséquilibre que nous déplorons était certes présent dès l’origine avec le parlementarisme rationalisé de 1958, mais il a été amplifié par la révision de 1962, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, et par l’instauration de ce que j’appellerai volontiers, à la suite de Jean-Marie Denquin, constitutionnaliste bien connu, une « monarchie aléatoire », laissant place à d’éventuelles cohabitations. Depuis la révision de 2000, il n’y a plus de cohabitations possibles et nous sommes passés à une nouvelle phase, l’hyperprésidentialisation du régime.
Les deux réformes de 1962 et 2000, j’y insiste, se sont faites sans que le Président de la République soit doté de nouveaux pouvoirs. Et nous touchons là une question cruciale, qui constitue la racine des maux de la 5ème République : le Président de la République, irresponsable politiquement, s’est arrogé des pouvoirs supplémentaires, au-delà de la lettre même de la Constitution. C’est la raison pour laquelle les propositions qui nous sont faites dans le cadre de la présente révision apparaissent bien dérisoires pour rééquilibrer les pouvoirs et rendre sa place au Parlement. (…)
J’ajoute, même si ma position, je le sais, est extrêmement minoritaire dans cet hémicycle, que je suis de ceux qui considèrent qu’il ne pourra rien se faire de significatif pour renouer avec un véritable régime parlementaire et refaire de l’élection des députés un rendez-vous électoral fondamental tant que l’élection du Président de la République au suffrage universel ne sera pas remise en cause. C’est un point de passage obligé. Nous ne le franchirons pas cette fois-ci, je le regrette, mais si nous voulons nous diriger vers un véritable régime parlementaire, à l’instar des autres démocraties européennes, au moins faut-il réaffirmer le rôle du Premier ministre. Cela implique le transfert de certaines prérogatives du Président au Premier ministre. Cela passe aussi par l’institution clairement établie de la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement, un Gouvernement s’astreignant à obtenir systématiquement l’investiture du Parlement lors de sa constitution, ce qui justifierait également le transfert du droit de dissolution du Président au Premier ministre.
II – Pour demander le mandat unique des parlementaires.
Je déplore que l’article 10 du projet de loi, relatif à l’article 25 de la Constitution, ne traite pas de la question du cumul des mandats des parlementaires. Comment pouvons-nous discuter d’une révision constitutionnelle destinée à revaloriser le rôle du Parlement, à lui donner davantage de pouvoir, sans nous intéresser à la disponibilité des parlementaires ?(...)
Nous souhaitons que le Gouvernement prenne des initiatives en ce sens, de manière à suivre les recommandations extrêmement claires du comité Balladur sur le sujet. Qui peut nier que le cumul des mandats, qui s’est beaucoup développé en même temps que la décentralisation progressait, pèse lourdement sur l’organisation de nos travaux du fait que certains de nos collègues sont très occupés en dehors de notre assemblée ?
Si la semaine de travail parlementaire ne compte que trois jours, c’est évidemment pour leur permettre de remplir d’autre tâches que celles leur incombant en tant que députés. Lors de la dernière campagne des élections municipales et cantonales, le Parlement a suspendu ses travaux pendant sept semaines, ce qui correspond à une durée trois fois supérieure à celle de la campagne officielle. Comment ne pas y voir un encouragement à favoriser le cumul des mandats ?
Afin de vous convaincre de la nécessité d’apporter une réponse à ce problème, je vous rappelle le point de vue très clair d’un spécialiste faisant autorité en la matière, puisqu’il a présidé successivement la commission des lois de notre assemblée et le Conseil constitutionnel. Ainsi notre ancien collègue, Pierre Mazeaud, a déclaré : « J’ai toujours été opposé à cette exception française, et je n’envisage pas d’interdiction limitée. Tout cumul est contraire à l’esprit de la Constitution actuelle. Dans cette pratique du cumul des mandats, il y a une extrême confusion des genres. Je suis contre tout cumul, y compris un simple mandat d’adjoint ou même de conseiller municipal. Cette exception française est ridicule. »
Madame la garde des sceaux, faites-nous donc des propositions pour sortir du ridicule !
III – Sur l’indispensable réforme du Sénat.
« Lorsque la gauche perd tout, elle perd tout ; lorsque la droite perd tout, elle conserve le Sénat ». Cette observation du professeur Guy Carcassonne témoigne bien de l’anachronisme, de l’inégalité et de l’incohérence du mode d’élection des sénateurs. D’où l’urgence démocratique d’une réforme.
Comment imaginer que la modernisation des institutions (…) fasse l’impasse sur le Sénat, structurellement orienté à droite depuis un siècle et demi, devenu autiste et insensible aux évolutions de l’opinion, et mis à l’abri de toute alternance ?
Aux termes de l’article 24 de la Constitution, le Sénat a pour mission de représenter les collectivités territoriales. Mais il faudrait respecter également l’article 3, en particulier le principe d’égalité du suffrage. Or, ce n’est pas le cas aujourd’hui, le mode du scrutin privilégiant les zones rurales et les petites communes : il y a un délégué pour 800 habitants dans les communes de plus de 100 000 habitants, et un pour 300 dans celles de 1 000 habitants (…) Le mode de scrutin actuel ne correspond donc plus à la réalité démographique de notre pays. Bien que le Sénat participe à l’expression de la souveraineté nationale, qui appartient au peuple aux termes de l’article 3, le lien entre le Sénat et le peuple est pour le moins distendu (...)
En modifiant le mode de scrutin du Sénat, nous ne remettrons pas en cause l’équilibre de nos institutions, mais nous améliorerons la représentativité de la Haute Assemblée.
L’absence de représentativité est un dysfonctionnement qui ne lui permet pas de jouer pleinement son rôle : il appuie toujours la majorité gouvernementale quand elle est de droite, il l’entrave quand elle est de gauche. Comme l’observe Pascal Jan, professeur à l’IEP de Bordeaux, c’est une « trahison de l’esprit bicaméral ». Le Sénat doit se réformer. S’il ne le fait pas, il est certainement voué à disparaître un jour.
IV – A propos du contrôle du Parlement sur la construction européenne.
L’article 88, alinéa 4, de la Constitution est évidemment très important, puisqu’il concerne le contrôle du Parlement sur la construction européenne. A ce propos, je voudrais poser une question et énoncer deux propositions.
Ma question porte sur les textes que le Gouvernement soumet au Parlement, en vertu du premier paragraphe de l’article 88-4. Pourquoi, dans le projet de loi, la référence à tout document émanant des institutions de l’Union a-t-elle disparu ? Il s’agit manifestement d’un recul par rapport à la rédaction actuelle et même par rapport à l’avant-projet de loi, conforme aux recommandations du comité Balladur, qui prévoyait l’obligation de les soumettre, au même titre que les projets et les propositions d’acte. Or ces documents sont très importants : il s’agit des livres blancs et des livres verts de l’Union, ainsi que des nombreuses et importantes recommandations de la Commission et des projets de révision des traités. Je voudrais que vous nous expliquiez cette énigme, monsieur le rapporteur, d’autant que la référence à ces documents réapparaît dans le second paragraphe de l’article 88-4, qui traite du droit de résolution du Parlement. En clair, sur ces textes capitaux, c’est le Parlement qui doit être en alerte, le Gouvernement étant désormais dispensé de l’obligation de les lui transmettre.
J’en viens à mes deux propositions, qui donneraient leur pleine efficacité à notre contrôle et valoriseraient le rôle du Parlement.
Tout d’abord, lorsque l’Assemblée Nationale, devant laquelle le Gouvernement est responsable, adopterait à la majorité absolue une résolution, celle-ci devrait valoir mandat de négociation pour le Gouvernement auprès des autorités de Bruxelles.
Ensuite, puisque, dans la pratique, la plupart des directives européennes sont hélas transposées par voie d’ordonnance, je propose que, lorsque le Parlement adopte une résolution sur un projet d’acte qui comprend des dispositions de valeur législative, la transposition ne puisse pas être effectuée par voie d’ordonnance, mais intervienne obligatoirement par la procédure législative normale. Cela garantirait la pleine efficacité du contrôle parlementaire.